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Vous cultivez votre potager depuis quelques années. Vous avez appris à stocker, à conserver, à cuisiner ce que vous produisez. Vous avez goûté à cette fierté particulière de nourrir votre famille avec vos propres mains. Et puis un jour, vous regardez autour de vous et vous vous dites : et si on faisait ça ensemble, à l’échelle du village ?
Cette intuition, de plus en plus de Français la partagent. Parce que la crise sanitaire, l’inflation, les tensions sur l’approvisionnement nous ont rappelé une évidence : notre système alimentaire est fragile. Dépendre de chaînes logistiques mondiales pour manger, c’est prendre un risque. Mais reprendre la main collectivement, à l’échelle d’un territoire, c’est possible. Et ça porte un nom : le projet alimentaire territorial.
Dans cet article, je vous propose une méthode concrète pour lancer un projet alimentaire territorial village par village, sans attendre les grandes politiques nationales, sans budget pharaonique, juste avec de la méthode, de la persévérance et l’envie de retrouver une vraie autonomie alimentaire collective.
1. Comprendre ce qu’est un projet alimentaire territorial (et pourquoi ça concerne votre village)
1.1. Définition simple du PAT
Un projet alimentaire territorial, ou PAT, c’est un projet collectif qui vise à relocaliser l’alimentation d’un territoire. Concrètement, il s’agit de rapprocher les producteurs des consommateurs, de favoriser les circuits courts, de soutenir l’installation de nouveaux paysans, de développer l’approvisionnement local dans la restauration collective, de préserver le foncier agricole.
Le PAT n’est pas un label ni une norme. C’est une démarche souple, adaptable à chaque contexte. Un village de 500 habitants en Aveyron ne construira pas le même projet qu’une communauté de communes de 10 000 habitants en Bretagne. L’essentiel, c’est de partir des réalités locales et de mobiliser les acteurs du territoire.
L’idée centrale est simple : faire en sorte que ce que nous mangeons soit produit le plus près possible de chez nous, par des gens que nous connaissons, dans le respect des sols et des saisons. C’est une logique de bon sens, mais qui demande de l’organisation.
1.2. Pourquoi c’est différent d’une AMAP ou d’un marché de producteurs
Vous connaissez peut-être déjà les AMAP (Associations pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne) ou les marchés de producteurs. Ce sont d’excellentes initiatives, mais un projet alimentaire territorial va plus loin. Il ne se contente pas d’organiser la distribution. Il cherche à agir sur tout le système alimentaire local : la production bien sûr, mais aussi la transformation, le stockage, l’éducation, la restauration collective, l’accès au foncier, la gestion des déchets organiques.
Un PAT, c’est une vision systémique. Par exemple, il peut inclure la création d’un atelier de transformation collectif pour permettre aux maraîchers de valoriser leurs surplus en conserves. Il peut accompagner l’installation d’un jeune boulanger qui veut travailler avec des blés paysans locaux. Il peut soutenir la mise en place d’un compostage collectif pour fertiliser les jardins partagés du village.
C’est cette dimension globale qui fait la force du PAT. On ne se contente pas d’acheter local, on reconstruit peu à peu un écosystème alimentaire complet et résilient.
1.3. Les bénéfices concrets pour un village
Pourquoi se lancer dans cette aventure ? Parce que les bénéfices sont multiples et tangibles.
D’abord, la résilience. Un village qui produit une partie significative de son alimentation localement est moins vulnérable aux crises. Si demain les prix du carburant explosent ou qu’une pénurie touche les supermarchés, vous avez des filets de sécurité.
Ensuite, le dynamisme économique. L’argent dépensé localement reste dans le territoire. Il fait vivre les producteurs, crée de l’emploi, maintient les commerces de proximité. C’est un cercle vertueux.
Il y a aussi le lien social. Travailler ensemble sur l’alimentation, c’est se rencontrer, tisser des solidarités, retrouver un sentiment d’appartenance. Dans un monde où l’isolement gagne du terrain, ces liens sont précieux.
Enfin, la santé et l’environnement. Manger local, c’est souvent manger de saison, moins transformé, avec moins d’emballages et moins de transport. C’est bon pour notre corps et pour la planète.
Si vous avez déjà expérimenté la satisfaction de cultiver votre propre potager et établi des partenariats avec des producteurs locaux, vous savez ce que signifie reprendre le contrôle. Un projet alimentaire territorial, c’est simplement prolonger cette démarche à l’échelle collective.

2. Identifier les acteurs et mobiliser les bonnes personnes
2.1. Partir d’un petit groupe motivé
Tout projet alimentaire territorial commence par une poignée de personnes qui décident d’agir. Vous n’avez pas besoin d’être nombreux au départ. Trois ou quatre personnes motivées suffisent pour lancer la dynamique.
Qui sont ces personnes ? Souvent, ce sont des habitants déjà sensibilisés à l’alimentation locale : des jardiniers amateurs passionnés, des membres d’AMAP, des parents d’élèves soucieux de ce que mangent leurs enfants à la cantine, des retraités actifs qui ont du temps et de l’expérience à partager. Ce sont des gens qui, comme vous, ont compris qu’on ne peut pas compter uniquement sur le système industriel pour se nourrir sainement.
La première étape consiste à organiser une rencontre informelle. Ça peut être un café citoyen, un apéritif chez l’un d’entre vous, une réunion dans la salle des fêtes. L’objectif est simple : échanger sur les constats partagés, exprimer les envies, voir qui est prêt à s’investir. Pas besoin de powerpoint ni de grand discours, juste de la sincérité et du concret.
2.2. Associer les producteurs locaux dès le départ
Un projet alimentaire territorial sans les producteurs, c’est comme un potager sans graines. Ce sont eux qui nourrissent le territoire, ils doivent être au cœur de la démarche. Maraîchers, éleveurs, céréaliers, fromagers, boulangers, apiculteurs, transformateurs : tous ont leur place.
Mais attention, les producteurs sont souvent débordés. Ils passent leurs journées aux champs, à la ferme, au fournil. Ils n’ont pas toujours le temps ni l’énergie pour s’investir dans des réunions qui s’éternisent. Il faut donc les approcher avec tact et pragmatisme.
Allez les voir directement, sur leur exploitation. Expliquez-leur votre projet en quelques phrases claires. Montrez-leur que vous ne venez pas leur ajouter du travail, mais leur proposer des solutions : un nouveau débouché via la cantine scolaire, un atelier de transformation mutualisé, un soutien pour trouver du foncier, une entraide pour les gros chantiers saisonniers.
Écoutez leurs besoins, leurs contraintes, leurs idées. Certains seront enthousiastes, d’autres méfiants. C’est normal. La confiance se construit avec le temps. Pour comprendre comment établir ces partenariats de confiance avec les producteurs, commencez par ceux qui sont partants, les autres suivront peut-être plus tard.
2.3. Impliquer la mairie et les élus
Pour qu’un projet alimentaire territorial prenne vraiment racine, il faut l’appui de la mairie. Pourquoi ? Parce que les élus ont des leviers d’action décisifs : le budget communal, le foncier agricole, la restauration scolaire, les autorisations pour les jardins partagés, la communication via le bulletin municipal.
Mais comment les embarquer sans les braquer ? Beaucoup d’élus, surtout dans les petites communes rurales, sont pragmatiques. Ils ne sont pas forcément sensibles aux discours militants ou aux grandes théories. Ce qui les intéresse, ce sont les bénéfices concrets pour leur village : dynamisme économique, attractivité, cohésion sociale, image positive.
Préparez un rendez-vous avec le maire ou un adjoint. Présentez votre projet de manière factuelle, chiffrée si possible. Montrez des exemples de communes qui ont réussi. Expliquez que vous ne demandez pas de porter le projet à leur place, mais de le soutenir. Proposez des actions simples pour commencer : introduire des produits locaux à la cantine, mettre à disposition une parcelle communale pour un jardin collectif, organiser une réunion publique sur l’alimentation.
Certains élus seront immédiatement enthousiastes, d’autres plus frileux. Respectez leur rythme, mais restez persévérants. Quand ils verront les premiers résultats, ils deviendront souvent vos meilleurs alliés.
2.4. Élargir progressivement : artisans, associations, écoles
Une fois le noyau initial constitué (citoyens motivés, quelques producteurs, soutien de la mairie), vous pouvez élargir le cercle. Identifiez d’autres acteurs clés du village : les artisans (menuisiers, maçons, qui peuvent aider à construire des infrastructures), les associations locales (amicale laïque, club du troisième âge, comité des fêtes), les enseignants (qui peuvent porter des projets pédagogiques autour du potager ou de l’alimentation).
L’idée n’est pas de tout faire en même temps, mais de tisser progressivement un réseau d’alliés. Chacun apporte ses compétences, son réseau, son énergie. C’est cette diversité qui fait la richesse et la solidité d’un projet alimentaire territorial.
L’autonomie collective, contrairement à l’autarcie individuelle, repose justement sur cette diversité d’acteurs et sur les liens que vous tissez entre eux. Un projet collectif, ce n’est pas une structure figée avec des rôles immuables. C’est un organisme vivant qui évolue, qui accueille de nouvelles personnes, qui s’adapte. Restez ouverts, accueillants, et faites confiance à l’intelligence collective.
3. Faire un diagnostic alimentaire du territoire
3.1. Cartographier l’existant
Avant de définir des actions, il faut comprendre ce qui existe déjà sur votre territoire. C’est le principe du diagnostic alimentaire : dresser un état des lieux pour identifier les forces, les faiblesses, les opportunités.
Commencez par recenser les producteurs locaux. Qui cultive quoi, où, pour qui ? Combien de maraîchers, d’éleveurs, de céréaliers, de transformateurs ? Quels produits sont disponibles et à quelle saison ? Où vendent-ils (marché, AMAP, magasin de producteurs, vente directe à la ferme) ?
Regardez aussi les circuits courts existants : y a-t-il une AMAP, un marché hebdomadaire, un magasin de producteurs, une plateforme de commande en ligne ? Ces structures fonctionnent-elles bien, ont-elles besoin de soutien ?
Identifiez les infrastructures : existe-t-il des jardins partagés, un atelier de transformation collectif, un local de stockage, une légumerie ? Y a-t-il des terres agricoles disponibles, en friche ou sous-exploitées, qui pourraient accueillir de nouveaux projets ?
Enfin, examinez la restauration collective : que mange-t-on à la cantine scolaire, à la maison de retraite ? D’où viennent les produits ? Y a-t-il une volonté d’introduire plus de local ?
Et si vous alliez plus loin dans votre préparation ?

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3.2. Identifier les besoins et les manques
Une fois l’existant cartographié, posez-vous les bonnes questions. Quels produits sont consommés localement mais non produits sur le territoire ? Par exemple, si tout le monde achète des pommes mais qu’il n’y a pas de verger dans le coin, c’est une opportunité.
Quels freins empêchent l’installation de nouveaux producteurs ? Le foncier est-il accessible ? Y a-t-il un accompagnement pour les porteurs de projet ? Les débouchés sont-ils suffisants ?
Qui n’a pas accès à une alimentation de qualité ? Les familles précaires, les personnes âgées isolées, les jeunes qui ne savent pas cuisiner ? Comment le projet alimentaire territorial peut-il intégrer une dimension sociale, solidaire ?
Y a-t-il des produits gaspillés, des surplus non valorisés ? Des légumes invendus sur le marché, des fruits qui pourrissent dans les jardins faute de temps pour les transformer ?
Ces questions permettent de passer du constat à l’action. Elles orientent les priorités du projet.
3.3. Outils simples pour réaliser ce diagnostic
Vous n’avez pas besoin d’un cabinet d’études ni d’un budget colossal pour faire ce diagnostic. Des outils simples et participatifs suffisent.
Les questionnaires habitants sont efficaces : diffusez-les en version papier (dans les boîtes aux lettres, à la boulangerie, à la mairie) ou numérique (via les réseaux sociaux, le site de la commune). Posez des questions concrètes : où achetez-vous vos légumes ? Mangeriez-vous local si c’était plus accessible ? Seriez-vous prêt à participer à un jardin collectif ?
Les entretiens avec les producteurs sont indispensables. Allez les rencontrer, demandez-leur ce dont ils ont besoin pour développer leur activité, ce qui les freine, ce qu’ils aimeraient voir se mettre en place.
Organisez une balade de territoire : marchez dans le village et ses environs avec un petit groupe. Observez les terres, les bâtiments vides qui pourraient devenir des ateliers, les espaces publics qui pourraient accueillir des jardins partagés. Prenez des notes, des photos, partagez vos idées.
Les ateliers participatifs sont aussi très utiles. Réunissez habitants, producteurs, élus autour d’une grande table. Utilisez des post-it, des cartes, des schémas. Faites émerger collectivement les priorités, les idées, les envies. C’est un moment convivial qui renforce la dynamique de groupe.
Gardez en tête que ce diagnostic n’a pas besoin d’être parfait. Il doit être suffisamment précis pour vous orienter, mais pas figé dans le marbre. Vous l’affinerez au fil du temps, à mesure que le projet avance.
4. Définir les actions prioritaires et construire une feuille de route
4.1. Choisir 2-3 chantiers pour commencer
Maintenant que vous avez une vision claire de l’existant et des besoins, il est temps de passer à l’action. Mais attention : vouloir tout faire d’un coup, c’est le meilleur moyen de s’épuiser et d’échouer. Mieux vaut choisir deux ou trois chantiers prioritaires et les mener à bien.
Comment choisir ? Privilégiez des actions qui répondent à un besoin identifié, qui mobilisent plusieurs acteurs, et qui peuvent produire des résultats visibles rapidement. Les premières victoires, même modestes, sont essentielles pour maintenir la motivation et convaincre les sceptiques.
Quelques exemples de chantiers possibles :
Développer l’approvisionnement local à la cantine scolaire. C’est souvent une priorité, parce que ça concerne les enfants, que les parents sont sensibles au sujet, et que les volumes permettent de structurer des débouchés pour les producteurs. Commencez par un ou deux produits (les légumes de saison, le pain), puis élargissez progressivement.
Créer un jardin collectif ou partagé. C’est un projet fédérateur, qui crée du lien, qui sensibilise à l’alimentation saine, et qui permet à des habitants sans terrain de cultiver leurs propres légumes. Il faut trouver une parcelle (communale ou privée mise à disposition), organiser les groupes de jardiniers, prévoir l’arrosage et les outils.
Organiser des ateliers de transformation. Si des producteurs ont des surplus, si des particuliers ont trop de fruits dans leurs jardins, proposez des ateliers collectifs pour faire des conserves, des confitures, des lactofermentations. Ça valorise les récoltes, ça transmet des savoir-faire, et ça renforce l’autonomie alimentaire de chacun.
Faciliter l’accès au foncier pour les nouveaux porteurs de projet. Si vous avez identifié des terres disponibles et des personnes qui veulent s’installer en maraîchage ou en élevage, travaillez avec la mairie et les propriétaires pour débloquer la situation. Aidez à la mise en relation, accompagnez les démarches administratives.
4.2. Définir des objectifs mesurables et atteignables
Une fois les chantiers choisis, formulez des objectifs clairs, mesurables et atteignables. Évitez les formulations vagues du type “favoriser l’alimentation locale” ou “sensibiliser les habitants”. Préférez des objectifs concrets :
“Introduire 30% de produits locaux à la cantine scolaire d’ici deux ans.” “Créer un jardin collectif de 500 m² avec 15 jardiniers d’ici la fin de l’année.” “Organiser 4 ateliers de transformation collectifs par an, avec 10 participants minimum à chaque fois.” “Accompagner l’installation d’un maraîcher sur une parcelle communale dans les 18 mois.”
Ces objectifs vous permettent de suivre l’avancement du projet, de mesurer les résultats, et d’ajuster le tir si nécessaire. Ils rassurent aussi les élus et les partenaires, qui voient que vous travaillez avec méthode.
4.3. Planifier sur 3 à 5 ans
Un projet alimentaire territorial ne se construit pas en quelques mois. C’est un travail de fond, qui demande du temps pour changer les habitudes, structurer les filières, former les compétences. Pensez en termes de 3 à 5 ans.
La première année, c’est l’année des expérimentations et des premières réussites visibles. Vous lancez les chantiers prioritaires, vous testez, vous ajustez, vous montrez que c’est possible. C’est l’année où vous construisez la confiance et la légitimité du projet.
Les années 2 et 3, c’est la structuration et la montée en puissance. Vous élargissez les actions, vous développez de nouveaux partenariats, vous consolidez les acquis. Vous commencez à voir les effets systémiques : plus de producteurs installés, plus de produits locaux dans les assiettes, plus d’habitants impliqués.
Les années 4 et 5, c’est l’autonomie et l’essaimage. Le projet tourne tout seul ou presque, porté par une dynamique collective bien ancrée. Vous pouvez penser à essaimer sur les villages voisins, à créer des coopérations intercommunales, à inspirer d’autres territoires.
Cette vision à moyen terme vous aide à tenir le cap dans les moments difficiles. Parce qu’il y en aura : des découragements, des tensions, des imprévus. Mais si vous gardez en tête que vous construisez quelque chose de durable, vous trouverez l’énergie pour continuer.
4.4. Trouver des financements
Un projet alimentaire territorial n’exige pas forcément de gros budgets, mais un peu de moyens facilite grandement les choses : pour acheter du matériel de jardinage, financer un atelier de transformation, rémunérer un coordinateur à temps partiel, organiser des événements.
Heureusement, il existe des sources de financement accessibles. Les régions et les départements proposent souvent des aides spécifiques pour les projets alimentaires territoriaux. Renseignez-vous auprès de la chambre d’agriculture, de la DRAAF (Direction Régionale de l’Alimentation, de l’Agriculture et de la Forêt), des services régionaux.
Il existe aussi des appels à projets nationaux ou européens (LEADER, FEADER). Certes, les dossiers sont parfois complexes, mais il y a souvent un accompagnement disponible. N’hésitez pas à demander de l’aide à une association de développement rural, à un GAL (Groupe d’Action Locale).
Le mécénat local peut également être une piste : des entreprises du territoire, des artisans, des particuliers peuvent soutenir financièrement le projet. Proposez-leur une visibilité en échange (logo sur les supports de communication, invitation aux événements).
Enfin, l’autofinancement citoyen fonctionne bien pour certains projets : une cagnotte en ligne, une souscription auprès des habitants, une buvette lors des événements. Les gens sont souvent prêts à mettre la main à la poche quand ils voient que le projet avance concrètement.
La constitution de stocks alimentaires mutualisés, comme vous avez peut-être déjà appris à le faire à l’échelle familiale, peut aussi faire partie de votre stratégie de résilience collective et justifier certains financements auprès des partenaires.
5. Animer, communiquer et faire vivre le projet dans la durée
5.1. Organiser des temps forts réguliers
Un projet alimentaire territorial, ce n’est pas une succession de réunions dans une salle froide. C’est une aventure collective qui doit être vivante, conviviale, visible. Pour cela, organisez régulièrement des temps forts qui rassemblent les habitants, les producteurs, les partenaires.
Les marchés paysans sont un excellent moyen de valoriser les producteurs locaux et de faire découvrir leurs produits. Organisez-les une fois par mois, sur la place du village, avec de la musique, des animations pour les enfants, des dégustations.
Les fêtes de la récolte ou les repas partagés créent du lien et célèbrent les fruits du travail collectif. En automne, par exemple, organisez une grande soupe collective avec les légumes du jardin partagé, ou un repas 100% local à la salle des fêtes.
Les ateliers cuisine permettent de transmettre des savoir-faire et de montrer qu’on peut cuisiner simplement avec des produits de saison. Proposez-les régulièrement, avec des thématiques variées : cuisiner les légumes d’hiver, faire son pain, conserver les surplus d’été.
Les visites de fermes sont des moments de découverte et d’échange. Les gens adorent voir comment poussent leurs légumes, rencontrer les éleveurs, comprendre le métier de paysan. Organisez deux ou trois visites par an, en lien avec les producteurs partenaires.
Ces temps forts donnent du sens au projet. Ils montrent que le projet alimentaire territorial n’est pas une abstraction, mais une réalité vivante, joyeuse, ancrée dans le quotidien du village.
5.2. Communiquer simplement et régulièrement
La communication est essentielle pour faire connaître le projet, mobiliser de nouveaux participants, valoriser les réussites. Mais attention : inutile de viser la perfection. Une communication simple, régulière et sincère est bien plus efficace qu’une campagne sophistiquée mais ponctuelle.
Utilisez les canaux locaux : le bulletin municipal, les panneaux d’affichage, le site internet ou la page Facebook de la commune. Demandez à la mairie de relayer vos informations.
Créez une newsletter mensuelle ou bimestrielle, envoyée par email aux habitants inscrits. Racontez ce qui s’est passé, ce qui est prévu, les témoignages des participants. Gardez un ton chaleureux et concret.
Le bouche-à-oreille reste l’un des meilleurs outils de communication en milieu rural. Quand les gens voient que le projet fonctionne, qu’il apporte du concret, ils en parlent autour d’eux. Soignez l’accueil des nouveaux venus, soyez disponibles pour répondre aux questions.
Et surtout, montrez des résultats. Plutôt que de longs discours, partagez des photos du jardin collectif en pleine production, le témoignage d’un parent satisfait de la cantine, le chiffre d’approvisionnement local qui progresse. Les preuves concrètes valent mieux que les belles promesses.
5.3. Faire tourner les responsabilités
Un des pièges classiques des projets collectifs, c’est l’épuisement des porteurs initiaux. Deux ou trois personnes se dévouent corps et âme, puis au bout de deux ans, elles craquent, démissionnent, et tout s’effondre.
Pour éviter ça, il faut faire tourner les responsabilités. Dès le départ, impliquez plusieurs personnes dans la coordination. Répartissez les tâches : l’un s’occupe de la communication, l’autre de la relation avec la mairie, un troisième de l’animation du jardin collectif, un quatrième de la recherche de financements.
Organisez des réunions régulières (une fois par mois ou tous les deux mois) pour faire le point collectivement. Évitez que tout repose sur une seule personne.
Intégrez progressivement de nouvelles personnes dans le noyau actif. Quand quelqu’un se montre motivé et fiable, proposez-lui de prendre une responsabilité. Accompagnez-le, formez-le si nécessaire, mais faites-lui confiance.
Et acceptez que certains partent. Les déménagements, les changements de vie, les baisses de motivation, c’est normal. Comme nous l’avons vu dans l’exploration de ce qu’est vraiment l’autonomie, un projet résilient, c’est un projet qui sait se renouveler, intégrer du sang neuf, transmettre les compétences.
5.4. Mesurer les résultats et ajuster
Enfin, prenez le temps chaque année de faire un bilan. Qu’est-ce qui a bien fonctionné ? Qu’est-ce qui a moins marché ? Quels objectifs avez-vous atteints ? Lesquels doivent être revus ?
Ce bilan peut se faire lors d’une réunion collective, avec tous les acteurs du projet. C’est l’occasion de célébrer les réussites, d’identifier les difficultés, de réfléchir ensemble aux ajustements nécessaires.
Mesurez des indicateurs concrets : nombre de producteurs partenaires, pourcentage de produits locaux à la cantine, nombre de participants aux ateliers, surface de jardins collectifs, chiffre d’affaires généré localement. Ces chiffres permettent de suivre la progression et de communiquer sur les résultats.
Mais ne vous focalisez pas uniquement sur les chiffres. Interrogez aussi le ressenti des participants : sont-ils satisfaits ? Ont-ils le sentiment d’apprendre, de contribuer, de faire partie d’un collectif vivant ? C’est tout aussi important.
Et surtout, soyez prêts à ajuster. Un projet alimentaire territorial n’est pas un plan rigide qu’on applique mécaniquement. C’est un organisme vivant qui évolue, qui s’adapte aux contraintes, aux opportunités, aux envies. Restez souples, créatifs, à l’écoute.
Conclusion
Créer un projet alimentaire territorial à l’échelle de son village, ce n’est pas réservé aux experts en développement rural ni aux communes avec des budgets confortables. C’est à la portée de citoyens ordinaires, motivés par l’envie de reprendre le contrôle de leur alimentation et de construire ensemble une résilience locale.
Ça commence par une poignée de personnes qui osent se lancer. Puis ça s’élargit progressivement : des producteurs, des élus, des artisans, des associations. Ensemble, vous diagnostiquez ce qui existe, vous identifiez les besoins, vous définissez quelques actions prioritaires. Vous avancez pas à pas, en célébrant les petites victoires, en ajustant quand c’est nécessaire.
Un projet alimentaire territorial, ce n’est pas un sprint, c’est un marathon. Mais c’est un marathon joyeux, solidaire, qui donne du sens. C’est la fierté de voir la cantine servir des légumes du maraîcher d’à côté. C’est la satisfaction de partager une soupe collective avec les légumes du jardin partagé. C’est la sécurité de savoir que, quoi qu’il arrive, votre village a des ressources pour se nourrir.
Alors si cette idée résonne en vous, ne restez pas seul avec vos questions. Réunissez quelques voisins motivés autour d’un café. Allez rencontrer un producteur local. Proposez une réunion publique en mairie. Faites ce premier pas. Parce que la résilience alimentaire ne tombera pas du ciel. Elle se construit, ici et maintenant, village après village, geste après geste, ensemble.




